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Contribution théorique à une pédagogie humaniste et pragmatique

1 / 6
Question

La théorie pour une pédagogie humaniste et pragmatique est issue d'une approche philosophique

Réponse

Bonne réponse

La théorie pour une pédagogie humaniste et pragmatique vient d'une construction entre des expériences concrètes, des recherches sur le terrain et des contributions théoriques en sciences humaines. Voir diapo 3.

Réponse

Mauvaise réponse

La théorie pour une pédagogie humaniste et pragmatique vient d'une construction entre des expériences concrètes, des recherches sur le terrain et des contributions théoriques en sciences humaines. Voir diapo 3.

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Question

Les trois cadres théoriques principaux sont l'agir communicationnel (Habermas), l'analyse de l'activité (Pastré) et le socioconstructivisme (Vigotsky).

Réponse

Bonne réponse

Ces trois approches théoriques complémentaires apportent un cadre conceptuel à la théorie d'une pédagogie humaniste et pragmatique. Voir Diapo 5 et suivantes.

Réponse

Mauvaise réponse

Ces trois approches théoriques complémentaires apportent un cadre conceptuel à la théorie d'une pédagogie humaniste et pragmatique. Voir Diapo 5 et suivantes.

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Question

Habermas se méfie de la raison.

Réponse

Bonne réponse

La raison est au coeur de l'agir communicationnel que propose Jürgen Habermas. Voir diapo 6 et diapo 7.

Réponse

Mauvaise réponse

La raison est au coeur de l'agir communicationnel que propose Jürgen Habermas. Voir diapo 6 et diapo 7.

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Question

Prendre en compte le langage est sans intérêt pour analyser l'activité pédagogique.

Réponse

Bonne réponse

Le langage et les conversations entre pédagogue et apprenant sont importants en pédagogie. Voir Diapo 10.

Réponse

Mauvaise réponse

Le langage et les conversations entre pédagogue et apprenant sont importants en pédagogie. Voir Diapo 10.

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Question

Les travaux de Jerome Bruner constituent un pont entre le socioconstructivisme et le cognitivisme.

Réponse

Bonne réponse

Les travaux de Jerome Bruner constituent un pont entre le socioconstructivisme (importance des interactions sociales et culturelles) et le cognitivisme (importance du traitement de l'information), avec, notamment la notion de Zone de Développement Prochain. Voir diapo 12.

Réponse

Mauvaise réponse

Les travaux de Jerome Bruner constituent un pont entre le socioconstructivisme (importance des interactions sociales et culturelles) et le cognitivisme (importance du traitement de l'information), avec, notamment la notion de Zone de Développement Prochain. Voir diapo 12.

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Question

La rationalité forte et plus importante que la rationalité faible.

Réponse

Bonne réponse

Rationalité forte et faible sont complémentaires pour comprendre l'agir humain en général et la pédagogie en particulier. Elles ne sont pas à hiérarchiser car elles relèvent de logiques hétérogènes. Voir diapo 15.

Réponse

Mauvaise réponse

Rationalité forte et faible sont complémentaires pour comprendre l'agir humain en général et la pédagogie en particulier. Elles ne sont pas à hiérarchiser car elles relèvent de logiques hétérogènes. Voir diapo 15.

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Base 1: au cœur de la pédagogie: trois registres de médiation

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Module thématique

Contribution théorique à une pédagogie humaniste et pragmatique

Diapo 2

Résumé et plan

1.     Résumé

Ce module thématique propose non
pas un éclairage sur une notion
intéressant la pédagogie mais une
contribution théorique à la notion de
pédagogie humaniste et
pragmatique. Les cadres théoriques
de l’agir communicationnel, de
l’analyse de l’activité et du
socioconstructivisme sont mobilisés.
L’ensemble éclaire d’un point de vue
théorique les trois modules de base
que propose le site
pedagogie-pour-tous.fr

2.     Le plan du module, détaillé sur la diapositive, présente le contenu qui se déroule de la diapo 3 jusqu’à la diapo 15. Les numéros entre parenthèses correspondent aux numéros des diapositives.

3.    Conseil

Pour profiter au mieux du module, vous pouvez regarder la diapositive, écouter le commentaire audio et lire le commentaire écrit. Pour lire le commentaire associé à la diapositive, cliquer sur l’icône comme indiqué, dans la partie « texte », à droite de la diapositive.

 

Diapo 3

Introduction

1.     Ce module est une contribution théorique à la notion de pédagogie humaniste et pragmatique. Il a une visée scientifique, bien que sa forme ne soit pas académique. Son objectif est une présentation des cadres conceptuels qui sont en arrière-plan du site de formation à la pédagogie. D’où des références à des auteurs de travaux scientifiques dont on trouvera des précisions dans les  ressources de ce module. Il est également possible, avec Internet, d’aller approfondir telle ou telle notion, abordée trop rapidement dans le module. Espérons que l’ensemble ne soit pas trop aride pour les non spécialistes, mais ce module, d’un point de vue pratique, est facultatif dans le cadre de la formation à la pédagogie que propose le site pedagogie-pour-tous.fr

2.     Ce travail de théorisation n’est pas, loin s’en faut, un travail solitaire ; il a mûri patiemment:

  • à l’occasion de discussions avec les collègues membres du thème 2 du laboratoire Cirnef, (laboratoire que j’ai eu l’honneur de diriger il y a quelques années), mais aussi d’autres collègues nombreux, notamment Maurice Tardif et les collègues du REF,
  • grâce  aux questionnements de mes étudiants,
  • à la faveur des étonnements et des témoignages de nombreux professionnels que j’ai côtoyés au long de ma carrière.

Toutes ces personnes ont régulièrement été des appuis bienvenus pour  m’aider à formaliser la notion de pédagogie humaniste et pragmatique. J’ajouterai que les termes humaniste et pragmatique ne forment pas un oxymore. Ils sont, de mon point de vue, nécessairement compatibles.

Diapo 4

Le résultat d’un parcours professionnel

1.      La pédagogie concerne des  interactions finalisées par des apprentissages entre trois pôles : le pédagogue (qui fait apprendre), l’apprenant (qui apprend) et le savoir (ce qui est appris) comme l’a formalisé Jean Houssaye (2014).  Il n’existe pas de théorie pédagogique au sens propre du terme, parce que la nature même de la pédagogie est de renvoyer à des pratiques : celles de faire apprendre.

Historiquement, les courants pédagogiques sont généralement issus d’expériences empiriques, d’intuitions pratiques de quelques grandes figures (citons par exemple  Maria Montessori ou Célestin Freinet, assez connus ). Les grands courants pédagogiques peuvent également avoir pour origine des convictions fortes de penseurs et philosophes. Parfois, ils sont issus de travaux scientifiques. Voir les modules thématiques : « Grands courants pédagogiques ».

2.      Je  prends la liberté d’utiliser le « je », ponctuellement, pour signifier mon implication dans ce travail (Devereux, 1980)  mais aussi pour avoir la liberté de raconter une construction théorique qui puise dans des expériences professionnelles et personnelles. Le « je » en question est  l’auteur de ce site, moi-même, Thierry Piot. Mais le « nous » universitaire, plus classique, est aussi largement utilisé dans  ce module.

3.     Cette formalisation théorique est en quelque sorte le résultat d’une expérience sur une longue durée avec des fonctions variées : étudiant, animateur, enseignant, parent, formateur, chercheur universitaire, c’est-à-dire une expérience qui mêle des pratiques pédagogiques ancrées dans des situations concrètes et des recherches sur les métiers de services adressés à autrui (enseignement, formation, travail social, soin, animation…). Une expérience finalement assez ordinaire, marquée par une posture ou plus exactement une manière d’être (Peyronie, 1998) à l’activité pédagogique qui trouve son origine dans mon parcours.

4.   Ce parcours a pour socle un  héritage humaniste.

Ce socle s’enracine dans  une culture familiale où la notion d’engagement était très présente ainsi que dans l’éducation populaire. Cela à travers un fort engagement associatif dans la branche laïque du scoutisme,  dans un secteur qui proposait des séjours de vacances à des jeunes et des adultes en situation de handicap mental.

Nous formalisons une pédagogie  où le développement des apprenants reste toujours une préoccupation centrale, en tension avec l’objectif de construction des compétences et la réussite des apprentissages visés. Autrement dit, l’efficacité pédagogique, indispensable, ne vaut que si elle s’inscrit dans une logique de développement humain, lequel se bâtit sur des temporalités longues et rarement linéaires.

5.     En arrière-plan, on pourrait aussi préciser que ma contribution à cette théorie pédagogique est issue de recherches en sciences humaines,  recherches qui prennent souvent la forme d’une enquête au sens de John Dewey (1938). Mais cette contribution concerne aussi  une quête d’intelligibilité concernant les pratiques pédagogiques et les questions qu’elles suscitent. Cette enquête et cette quête, d’une certaine manière, constituent un engagement constant contre l’entropie, c’est-à-dire une forme de désordre, qui, en pédagogie, menace, sans cesse de balayer les acquis patiemment construits. Pour cela, cet engagement  ne s’enferme jamais dans le confort d’un défi qui serait abouti, de certitudes qui seraient inébranlables.

Diapo 5

Trois cadres théoriques

Trois cadres conceptuels principaux, inscrits dans le champ des sciences humaines, ont été mobilisés pour  penser et problématiser la notion de pédagogie humaniste et pragmatique.

1.    L’agir communicationnel de Jürgen Habermas (1987).

2.     L’analyse de l’activité. Principalement le courant de la didactique professionnelle, mais aussi celui de la clinique de l’activité, avec l’accent mis sur l’activité langagière dans les métiers de services adressés à autrui.

3.     Le socioconstructivisme, de Lev. S. Vigotsky (1934) à Jerome. S. Bruner (1991) enrichi par d’autres contributions en psychologie, de Jean Piaget (1974) à Benjamin Bloom (1956) et à la psychologie cognitive.

Ces trois cadres sont présentés ci-dessous: ce n’est pas une présentation détaillée mais un aperçu des notions clés mobilisées  dans la construction théorique qu’expose ce module.

 

Diapo 6

L’agir communicationnel (1 sur 2)

1.    Jürgen Habermas est un intellectuel allemand contemporain, né en 1929, membre de l’École de Francfort. Habermas est à l’origine d’une théorie critique du capitalisme et d’une pensée sur la démocratie qui contribuent à donner à la notion d’humanisme, née avec la Renaissance italienne et formalisée par les penseurs des Lumières, un renouveau plein d’acuité intellectuelle et apte à lire la complexité et les défis du monde actuel. Avec la théorie de l’agir communicationnel, Jürgen Habermas, critique la rationalité moderne, de Karl Marx à Max Weber et met en avant le rôle central de la communication dans l’espace public comme dans l’espace privé.

2.      Pour Habermas, ce qui importe, dans l’agir communicationnel ainsi que dans une certaine conception du bien commun, c’est d’accorder une place première à la raison  et de ne pas placer au premier plan les idéologies, les croyances, les passions qui radicalisent et souvent séparent, créent des dissensions, notamment sur le plan des dynamiques identitaires.

L’agir communicationnel  s’appuie sur l’intercompréhension, la recherche d’un consensus co-élaboré,  où sont mobilisés, dans la controverse, deux registres distincts et complémentaires :

  • un échange d’arguments intelligibles, fondés et critiquables, orientés vers la production d’un accord éclairé, d’une entente sincère.
  • un échange intersubjectif visant une forme d’entente, qui serait guidé par la justesse sociale et la sincérité des acteurs.

Il est donc requis:

  • de se méfier de toute rhétorique habile dont l’apparente logique séduit plus qu’elle ne convainc,  parfois manipule, et ne conduit pas à une intercompréhension sur le fond.
  • de se mettre à l’écart les sophismes, qui finalement n’ont de la vérité que l’apparence et qui obscurcissent les discours.
  • de prendre garde au populisme qui s’adresse à l’instinct plus qu’à la raison.
  • et pourrait-on ajouter, de ne pas prendre les fake news pour argent comptant.

Ce processus  d’intercompréhension implique d’expliciter et de co-construire le problème à résoudre en dépassant les différents initiaux. Nous estimons que cette construction suppose une démarche claire, comme le propose John Dewey (1938) dans la théorie de l’enquête ou comme le propose Michel Fabre (2017), lui-même inspiré par Dewey, dans sa théorie de la problématisation.

Ainsi, c’est une communication basée sur la rationalité qui prime, visant la construction progressive d’une intelligibilité partagée : ce qui l’emporte est un débat structuré par des arguments qui restent ouverts à une réfutation, elle-même fondée. C’est donc une saine controverse sur l’objet du débat, plutôt qu’une joute oratoire qui met en avant les personnes, leurs relations de pouvoir, leurs postures et leurs jeux d’acteurs. A l’issue de la controverse, c’est-à-dire d’un échange structuré par des arguments et des réfutations rationnellement énoncés, c’est une forme de rationalité partagée qui l’emporte, avec l’adhésion des locuteurs au sujet de ce sur quoi on a construit une intercompréhension, au moins partielle.

3.       Dans la théorie de l’agir communicationnel, si l’objet des échanges, ce à propos de quoi on discute, est central, les locuteurs, les sujets qui controversent et qui s’efforcent de bâtir un consensus, ne sont pas à oublier.

Dans les échanges, les messages que s’adressent les locuteurs ont une « force illocutoire » (Austin, 1970) finalisée par l’objectif de convaincre , ainsi qu’une dimension phatique (Jakobson, 1963) qui vise à maintenir les conditions d’une communication de qualité. Cela signifie que d’une part la question du sens co-construit par les locuteurs et d’autre part la question des relations interpersonnelles entre les sujets, importent :  la rationalité convoquée ici n’est pas purement instrumentale, adossée à une logique formelle qui réifierait les échanges. Car une communication a-subjective ou purement objective dériverait vers une forme d’effacement des sujets. La dimension anthropologique des échanges est présente, à la fois sur plan intersubjectif et social et sur le plan intra-subjectif et personnel.  Il s’agit du « monde vécu », où existent potentiellement des espaces d’intercompréhension. Autrement dit : la dimension instrumentale et la dimension anthropologique  sont en interface, et sont interconnectées : l’interprétation des arguments dépasse une logique purement formelle ou logico-mathématique pour prendre en compte l’expérience, la culture, les interactions sociales et la singularité de chaque sujet qui s’engage – au sens de se met en gage- dans le dialogue et qui est  mis à l’épreuve à travers le processus de communication.

Pour Habermas  la raison est l’essence de la communication rationnelle et de l’intercompréhension que la controverse peut aider à construire. Habermas estime que les institutions sont trop « verticales » et exercent souvent une forme de violence symbolique à l’égard les sujets individuels et sociaux, qui voient les espaces dialogiques devenir plus restreints (dont les espaces pour protester, pour résister… et possiblement mettre à jour un problème). La question marxiste de la lutte des classes (au sens du 19° siècle) s’actualise et s’élargit. Il s’agit bien de rendre visible, discutable, conscientisable, une question sociale vive (Droits de l’Homme, #Me Too, écologie, pour citer quelques problématiques contemporaines).  Sans ces espaces dialogiques, il y a aliénation, impossibilité de dialogue et  danger pour les démocraties, prises en étau par les postures plus autoritaristes et extrémistes, des postures qui s’appuient sur l’émotion et des dogmes qui ne sont pas discutés et se donnent à voir comme des évidences, mais de fausses évidences ou des évidences en trompe l’œil.

Habermas estime que les médias – dont désormais les outils numériques –  sont ambivalents selon l’usage qui en est fait et le potentiel de dialogue dont ils sont les vecteurs.

L’agir communicationnel que propose Habermas est une démarche basée sur forme de dialectique entre un niveau logique guidé par la raison et un niveau pratique mû par un dialogue sincère, finalisé par un consensus acceptable et légitime, qui serait finalement une manière de définir démocratiquement le bien commun. Cela renouvelle l’idée même de démocratie.

4.     La dimension technique du dialogue (langue, canal, régulation…) est insérée dans des préoccupations plus larges, au sens anthropologique. En effet, le dialogue permet de faire connaître les positions initiales et de les fonder; il permet également d’identifier les nœuds d’un possible désaccord. Puis progressivement s’élabore, à partir des normes de l’échange (des arguments fondés et critiquables/réfutables, sincères et loyaux), un consensus provisoire, partiel.

La validité de cette démarche se déploie sur 4 plans qui correspondent à ce que Habermas appelle l’éthique de la discussion :

  • validité par l’intelligibilité
  • validité par la logique
  • validité par la justesse sociale
  • validité par la sincérité personnelle et expérientielle.

L’éthique de la discussion a pour effet la co-construction d’un consensus éclairé, librement consenti, stable, et ouvre sur la possibilité ultérieure d’agir ensemble.

Ainsi, cette procédure délibérative, sans forme d’autorité ou de domination, ainsi que l’acceptabilité du consensus constituent une forme de bien commun aux locuteurs :  loin des petites phrases assassines, on dirait aujourd’hui du buzz, c’est une forme puissante de coordination discursive pour penser et agir ensemble, pour analyser et solutionner au moins en partie des problèmes complexes, qui est à privilégier. Cela, afin d’éviter ainsi un recours à la violence, laquelle a comme premières victimes les plus vulnérables, tant dans la sphère privée que la sphère publique.

Diapo 7

L’agir communicationnel (2 sur 2)

Pour synthétiser le propos de Habermas et opérationnaliser l’agir communicationnel en une forme de clef de lecture des situations mettant en jeu la communication humaine -dont les métiers de services adressés à autrui -on peut repérer trois registres distincts et complémentaires en interaction :

1.     le registre objectif, instrumental et rationnel est soumis au critère de la véracité et de l’efficacité. C’est le monde de la performance, de l’évaluation, de la programmation.

2.     le registre subjectif est soumis au critère de la sincérité et l’authenticité d’un sujet vis-à-vis de lui-même, sur le plan des valeurs notamment. Sont reliés à ce registre subjectif les représentations individuelles, l’expérience, le sentiment d’estime de soi, de reconnaissance de soi et les logiques de réflexivité du sujet.

3.      le registre social ou intersubjectif est soumis au critère de justice et de loyauté des sujets humains en interaction : monde relationnel, communication et ajustements, intention vis à vis d’autrui et perception croisée des altérités.

4.     le registre subjectif et le registre social, relèvent ensemble d’une logique anthropologique où le sujet est  individuel mais aussi inscrit dans une dynamique sociale et  culturelle, où qu’il soit. Cette logique anthropologique est traversée par question de l’identité, ou plutôt de la dynamique identitaire.(voir le module thématique : « Pédagogie et identité »). Ici, nous retenons principalement la tension entre identité ipse (« moi-même» en latin) et identité idem (« pareil » en latin). La première, l’identité ipse met en avant l’idée que chaque sujet est un sujet individuel, à la fois singulier et pluriel, qui ne se range jamais entièrement dans des classifications toujours réductrices. Cette dynamique identitaire, où se joue la différenciation individuelle, est en dialogue et en tension avec l’identité idem, marquée par l’appartenance à des groupes de référence, avec des logiques sociales et culturelles. Cela à différentes échelles, l’échelle de la personne comme l’échelle de groupes d’appartenance plus ou moins importants et parfois attachés à un territoire .

Diapo 8

L’analyse de l’activité des métiers de services adressés à autrui (1 sur 3)

1.     L’analyse de l’activité  est l’objet d’une littérature scientifique féconde, notamment dans le monde francophone, à partir  de la distinction entre tâche et activité proposée par Jean-Marie Faverge (1972): la tâche renvoie à ce qui est à faire, à ce qui est prescrit, aux objectifs à atteindre dans le cadre d’une organisation de travail, tandis que l’activité concerne le processus et la mise œuvre en situation de ressources diverses pour réaliser la tâche dans un contexte donné. On distingue, avec Yves Clot (2000), l’activité réelle et le réel de l’activité :  l’activité réelle est visible ; elle est observable, à travers le comportement des sujets ; le réel de l’activité relève d’une dimension invisible, qui peut être explicitée, mise en mots et qui concerne principalement la cognition et les émotions.

La notion d’activité, qui articule des dimensions génériques et des dimensions singulières, est l’objet d’analyses nombreuses : s’y trouvent articulées notamment les notions de compétence, de sujet, de situation.

2.     Plusieurs courants théoriques, optant chacun pour une entrée où des modalités propres, s’intéressent à l’analyse de l’activité. Les contributions de la psychologie ergonomique, de l’ergonomie cognitive , de l’ergologie, de la clinique de l’activité, du cours d’action  ou encore de la didactique professionnelle, montrent l’intérêt important pour l’analyse scientifique de l’activité de travail, même si ces différents courants entretiennent une forme de controverse scientifique, voire de concurrence.

3.     Les métiers de services adressés à autrui, dont les métiers du soin, de l’éducation et la formation, de l’intervention sociale mais aussi de l’animation, du conseil, se caractérisent par le fait qu’un professionnel, détenteur d’une forme d’expertise sur un objet de services, s’adresse à  un usager ou un client. Ce dernier bénéficie d’un service qui lui est rendu  afin qu’il puisse accroitre son pouvoir d’agir dans une situation donnée et finalement devienne plus autonome. De fait, l’activité dans ces métiers relève d’une forme de co-activité asymétrique entre professionnel et usager. Une forme de co-activité que nous retrouvons entre le pédagogue et l’apprenant, qui est alors finalisée par les apprentissages, que ce soit en situation formelle ou en situation informelle.

Diapo 9

L’analyse de l’activité des métiers de services adressés à autrui (2 sur 3)

 

1.     Nous privilégions l’analyse de l’activité à partir de l’entrée que propose la didactique professionnelle dont l’objectif est de comprendre l’activité dans ses différentes dimensions afin de construire des formations efficaces, soucieuses du développement professionnel des personnes.

Depuis son origine, la didactique professionnelle s’efforce de caractériser l’activité de travail en situation pour identifier les compétences  mises en œuvre par le professionnel et, le cas échéant, élaborer des propositions au service de l’ingénierie de formation initiale ou continue, privilégiant une approche par les situations de travail. Un article de Pierre Pastré, Patrick Mayen et Gérard Vergnaud (2006) permet d’en identifier les bases conceptuelles ainsi que les ambitions théoriques et pratiques. La didactique professionnelle s’intéresse de manière centrale à la notion de compétences, et à celle, corrélative, de professionnalisation (Wittorski, 2008), plutôt au niveau méso des organisations et au niveau micro des acteurs, aux prises avec leur activité effective en contexte de travail. Plus récemment, la notion de développement professionnel, qui prend en compte les dynamiques  identitaires au travail et la place du sujet élargissent les préoccupations des chercheurs.

La didactique professionnelle emprunte à la psychologie du développement de Jean Piaget (1975) et de Lev S. Vigotsky (1938), dont nous considérons  les travaux comme  complémentaires. Par ailleurs, la didactique professionnelle s’articule avec les concepts fondamentaux de l’ergonomie, laquelle s’intéresse aux dynamiques entre acteur professionnel, situation de travail et activité de travail. Au-delà des travaux fondateurs de Leplat (1980), il s’agit de caractériser les savoirs et les ressources construits pour conduire l’activité, ressources que sont les schèmes, les concepts pragmatiques ou encore les images opératives (Ochanine, 1978), qui tous, s’intéressent aux interfaces entre le sujet, le décours de l’action et la situation de travail.

2.     Nous trouvons un intérêt  à l’approche de la didactique professionnelle, notamment lorsqu’elle prend en compte les spécificités des métiers de services adressés à autrui (Piot, 2016), des métiers où les acteurs professionnels constituent eux-mêmes, à travers leur histoire personnelle, à travers leurs expériences et leurs valeurs, une ressource pour agir et réaliser leur travail, un travail marqué par des interactions interpersonnelles et une forme de coopération ajustée (Saillot, 2020) avec les usagers.

Nous considérons que les interactions professionnel – usager en situation constituent, à côté de l’objet de service et en porosité étroite avec lui, un second centre de gravité de l’activité du professionnel. Nous portons une attention particulière à la dimension relationnelle et communicationnelle, à travers la nature et les modalités des conversations qui accompagnent l’activité.

Prenons l’exemple d’une toilette que réalise une aide-soignante auprès d’une personne âgée dépendante en Ehpad. Cette activité mêle d’une part une dimension objective finalisée par l’hygiène et le bien-être de la personne âgée et d’autre part une dimension relationnelle, à travers des conversations ajustées entre l’aide-soignante et la personne âgée : souvent ce temps d’échange personnalisé sera considéré comme un moment important de la journée  de la personne âgée par elle-même (Piot, 2018).

Diapo 10

L’analyse de l’activité des métiers de services adressés à autrui (3 sur 3)

 

1.     L’exemple de la toilette (voir diapositive précédente) est emblématique des activités dans les métiers de services adressés à autrui, aussi appelés les métiers de la relation : les échanges langagiers en situation, c’est-à-dire les conversations entre le professionnel et le destinataire auquel est adressé le service, tiennent une place stratégique. Et pour analyser cette activité langagière en situation réelle, la linguistique pragmatique, offre une réflexion et des instruments adaptés.

Avec les travaux fondateurs de John L. Austin (1970), notamment dans son ouvrage au titre évocateur « Quand dire c’est faire », la linguistique pragmatique prend au sérieux les échanges langagiers qui structurent les métiers adressés à autrui et met l’accent sur le rôle et les fonctions des conversations en situation.

2.       Dans le cas des situations pédagogiques, le pédagogue adresse un service à l’apprenant, le service de «faire apprendre», et les modalités de conduite des échanges (Kerbrat-Orechionni, 2005) et plus largement des interactions  et  de leurs ajustements, sont omniprésents. Dans notre conception d’une pédagogie humaniste et pragmatique, les usages langagiers constituent une médiation et un instrument (Rabardel, 1995) de coordination et de régulation de la co-activité asymétrique entre pédagogue et apprenant.

Diapo 11

Le socioconstructivisme (1 sur 2). L’essentiel

1.     Parmi les 3 cadres théoriques fondateurs de notre théorie pédagogique, le socioconstructivisme est le plus classique au sens où il est à la fois très connu et largement vulgarisé dans le monde depuis les années 1970.

Pour cette raison, nous nous contenterons ici de rappeler les éléments les plus structurants de cette théorie et la manière dont le cognitivisme contemporain en est, en quelque sorte, un prolongement, même si cela est sujet à discussion, tant la notion de cognitivisme est extensive et d’un usage très répandu, qu’il en devient, parfois, confus.

2.     Le socioconstructivisme, issu des travaux de Lev S. Vigotski, complète, en l’élargissant, le constructivisme de Jean Piaget [voir module thématique : Pédagogie et apprendre (1 sur 2)]. De notre point de vue, ces deux auteurs sont complémentaires dans leurs contributions à la psychologie du développement.

Jean Piaget (1974) considère comme essentiels les situations et les instruments en lien avec l’activité. Ensemble, situations et instruments constituent une ressource potentielle de développement, d’autant qu’ils sont variés et fréquents pour le sujet.  La dynamique piagétienne d’assimilation-accommodation témoigne de cette logique de développement.

3.     Lev. S. Vygotski (1934/1985) accorde une fonction prioritaire aux interactions sociales, elles-mêmes vecteurs culturels d’une forme de sédimentation intergénérationnelle de connaissances et d’usages, dans le développement des fonctions psychiques supérieures. Le langage, les conversations de tous ordres sont des outils de développement des sujets : ils permettent  à l’apprenant de donner du sens aux situations, d’apprendre et d’agir avec efficience, et de se construire en tant que sujet individuel et social.

Dans les deux cas, la place de la conceptualisation du sujet-acteur qui s’engage dans une dynamique réflexive, est portée au premier plan.

Diapo 12

Le socioconstructivisme (2 sur 2). Vers le cognitivisme

1.     Jerome S. Bruner, premier traducteur de Vigotsky en occident dès 1956, est un socioconstructiviste :  il met l’accent sur la notion de zone de développement prochain de l’apprenant et sur la fonction de soutien ou d’étayage de la part du pédagogue vers l’apprenant   (dans des situations institutionnalisées ou plus informelles).

2.     Dans la dernière partie du 20ème siècle, Bruner met l’accent, sur le rôle du traitement de l’information par le sujet, mais sans rompre avec l’importance des interactions sociales : il est en quelque sorte un pont entre le socioconstructivisme et le cognitivisme. Son positionnement scientifique, à la fois pragmatique et humaniste, constitue un apport de premier ordre à notre conception de la pédagogie.

3.     Cette conception de la pédagogie, humaniste et pragmatique, s’articule autour de trois registres de médiation distincts et complémentaires : registre didactique, registre de la relation et registre de l’organisation (voir les trois modules de base). L’analyse de l’activité montre que la pédagogie est une co-activité asymétrique entre deux sujets, où les régulations sont centrales : le pédagogue explicite, facilite, organise, pilote, et l’apprenant s’engage, explore, participe, traite des informations et résout des problèmes.

4.     Si le socioconstructivisme a mis l’accent sur la dimension sociale et en quelque sorte l’inscription historico-culturelle des apprentissages, le cognitivisme, lui, met l’accent sur le traitement de l’information par le sujet, traitement qui inclut des fonctions telle la mémorisation. Il ne s’agit pas ici de polémiquer mais de considérer, avec lucidité, qu’en matière d’apprentissage et de pédagogie, il est raisonnable de s’écarter de tout dogme, de toute pensée magique : le sujet, ses dispositions et sa motivation d’une part, la situation pédagogique, son contexte et les outils disponibles d’autre part, mais aussi le  pédagogue et sa posture, constituent des vecteurs qui peuvent avoir un rôle en fonction des dynamiques d’apprentissages, lesquelles ne sont ni linéaires, ni homogènes : la pédagogie reste un problème ouvert, finalisé par un cap, celui apprentissages et du développement des apprenants mais aussi marqué par des incertitudes liées à la situation.

 

Diapo 13

Du côté de la méthodologie

1.     Notre contribution à une théorie pédagogique humaniste et pragmatique est construite à partir d’un long travail de terrain auprès de différents publics (pédagogues et apprenants) et procède d’une logique à la fois inductive et déductive, avec des allers-retours nombreux entre situations concrètes et formalisation théorique.  C’est, au sens de Dewey, une forme d’enquête au long cours pour rendre intelligible et problématiser la notion de pédagogie.

2.     Les matériaux empiriques proviennent du traitement second de données de recherches qui ont été présentées dans près d’une soixantaine d’articles ou de chapitres d’ouvrages scientifiques rédigés pendant ma carrière universitaire. Les plus curieux trouveront sur internet (sur HAL) l’essentiel des références.

3.     La méthodologie utilisée est qualitative à visée compréhensive.

4.     La méthodologie articule  des observations de situations pédagogiques et des entretiens qui s’inspirent des entretiens d’explicitation de P. Vermersch (2000), souvent individuels, parfois en focus group lorsque les circonstances s’y prêtaient. Les matériaux sont retranscrits, analysés par unité de sens et condensés pour produire de l’intelligibilité (Huberman et Miles, 1991).  Un article de méthodologie [Piot, 2022: voir dans les ressources du module] détaille le travail d’enquête auprès de publics vulnérables: j’insiste pour indiquer que c’est à partir de ces enquêtes, où peut-être l’essentiel est mis à nu, que j’ai pu avancer dans le travail de formalisation théorique.

5.     Ci-dessous sont listés les principaux terrains d’enquête qui constituent le noyau des données empiriques issues de recherches universitaires.

  • Auprès de professionnels dont le cœur de métier est de « faire apprendre » : enseignants, formateurs d’adultes, formateurs en école professionnelle (champ du travail social et du soin principalement), formation continue : tous visent des apprentissages chez des apprenants ainsi que le développement de compétences, avec, souvent un cadrage via des référentiels.
  • Auprès de professionnels dont le cœur de métier est d’adresser un service à un public en situation de vulnérabilité : bénéficiaires de dispositifs dans le champ du soin (notamment en Ehpad) et/ou dans le champ du travail social.
  • Auprès de tuteurs, tous métiers ou statuts confondus, qui en situation de travail, ont à prendre en charge des tutorés, parfois en stage de formation professionnelle initiale, parfois dans le cadre d’un apprentissage (notons qu’il y a plus de 850 000 contrats d’apprentissage en 2023 en France), parfois en marge d’une formation initiale ou continue ou même en situation de reconversion ou de reclassement.
  • Auprès de pédagogues en situation informelle ou peu formalisée (monde associatif bénévole dans les secteurs de l’éducation populaire).

6.      Dans ses outils comme dans sa démarche, la méthodologie mobilisée pour formaliser une pédagogie humaniste et pragmatique peut être qualifiée de multi-registres et de multiscalaire.

  • Multi-registres: la méthodologie s’intéresse aux différents registres de l’objet complexe qu’est la pédagogie: individu, groupe, savoir, relation, organisation; c’est important pour ne pas avoir de point aveugle et donc d’approche partielle ou réductrice.
  • Multiscalaire signifie qu’on s’intéresse à la pédagogie à différentes échelles: au niveau micro principalement, celle qui concerne le pédagogue et l’apprenant sur les registres didactique, relationnel et organisationnel; au niveau meso qui est celui du contexte plus large et des institutions qui fournissent des ressources et des contraintes (par exemple, en milieu scolaire, il y a des programmes, une répartition par âge des apprenants…); au milieu macro, il convient de mettre en relation une situation pédagogique avec l’environnement culturel, social et avec des questions transversales qui se retrouvent aussi en pédagogie: par exemple, la question de l’autorité traverse notre époque et se pose de manière spécifique dans la relation pédagogique et le climat pédagogique.

 

Diapo 14

Synthèse (1 sur 2)

1.      Cette diapositive présente la synthèse de notre contribution à une théorie pédagogique qui se veut cohérente, ancrée dans les réalités et étayée par des notions clés des sciences humaines et sociales.

2.      L’agir communicationnel de Jürgen Habermas offre un cadre d’ensemble robuste à notre contribution théorique pour formaliser une pédagogie humaniste et pragmatique, c’est à dire une pédagogie qui tient ensemble deux exigences.

  •  Une exigence où l’humain, actif et responsable est au centre des enjeux et s’inscrit dans une logique de développement de son pourvoir d’agir.
  • Une exigence d’efficacité dans les apprentissages, c’est-à-dire la construction de compétences effectives qui peuvent être évaluées, avec un délai plus ou moins long, par la réalisation de performances.

3.     Le courant de l’analyse de l’activité permet de mettre sous enquête rationnelle l’activité pédagogique. Et ainsi de contourner des approches assujetties à des dogmes, parfois  trop jargonnantes ou obscures. Ces approches, à mon sens, peuvent nuire à la perception sociale de cette notion de pédagogique mais aussi à sa caractérisation dans le champ des sciences humaines. Depuis leur naissance à la fin des années 1960, notamment sous l’égide de Gaston Mialaret à Caen, les sciences de l’éducation, devenues les sciences de l’éducation et de la formation, n’ont eu de cesse de fonder leur épistémologie, de délimiter leur objet, de crédibiliser leur méthodologie…. Sans toujours convaincre. Les critiques étant parfois excessives, parfois, il faut le reconnaître, justifiées.

4.     Les éclairages apportés par la clinique de l’activité d’une part (Clot, 2001) et par la didactique professionnelle d’autre part (Pastré, Mayen et Vergnaud, 2006), ont permis de préciser la notion d’activité pédagogique. Une de ses caractéristiques est qu’elle relève d’une logique prudentielle (Champy, 2012). Cette logique prudentielle dépasse les critiques adressées d’une part à une approche purement fonctionnaliste et adressées d’autre part à une approche interactionniste radicale.  Les pratiques prudentielles ne consistent pas à  appliquer strictement des procédures : elles sont caractérisées par des problèmes ouverts, marqués par l’incertitude. Ainsi, la pédagogie, qu’elle soit le fait de professionnels ou non, qu’elle constitue un cœur de métier ou une activité transversale, demande une forme d’analyse (Altet, 1994) d’une situation toujours singulière, une délibération avant d’agir, et sans avoir la certitude absolue que les choix faits seront suivis des effets attendus.

5.       Cette construction théorique s’est réalisée sur un temps long:  la dimension observable reste la partie émergée de l’iceberg et la dimension descriptible, largement cognitive, ne se donne pas facilement à saisir. L’analyse de données nombreuses a permis peu à peu d’apporter une forme de lisibilité de cette activité pédagogique. En effet, la récurrence d’éléments invariants, identifiés dans des situations pédagogiques très diverses (enseignement, soin, animation notamment) a permis de mettre en évidence une forme de matrice commune qu’il s’est agi d’analyser. Cela au prix d’impasses, de contradictions au-delà desquelles persévérer dans une certaine opacité a été requis. Ainsi en est-il des cheminements scientifiques. Notre contribution théorique peut être présentée comme aboutissant à une configuration (Elias, 2003), c’est à dire à un agencement dynamique, cohérent et ouvert, d’éléments hétérogènes. => Voir à ce sujet les trois modules de base sur ce site.

6.     L’approche socioconstructiviste de Vygotski est apparue comme apportant des points de repères structurants. La co-activité pédagogique relie, à la fois fonctionnellement et symboliquement, les deux acteurs que sont l’apprenant et le pédagogue. L’activité du premier étant d’apprendre et celle du second de « faire apprendre ». Cela dans un environnement social, culturel et un contexte plus ou moins institutionnalisé et plus ou moins riche en ressources et contraintes. Et tout en gardant constamment à l’esprit qu’apprendre et faire apprendre sont mis en tension par le savoir, ce terme entendu ici au sens large.

7.     Un obstacle important a été d’articuler deux notions souvent regardées comme antagonistes : pédagogie et didactique. L’option prise ici est de considérer la didactique comme un des trois registres de médiation de la pédagogie qui, en quelque sorte, chapeaute cet ensemble à trois logiques complémentaires : didactique, relationnelle et organisationnelle. Cela me permet de rester « lisible », de m’appuyer sur les travaux divers (par exemple ceux de Dominique Bucheton, 2009) , tout en proposant un modèle plus intégratif et global, qui soit en phase avec les données issues du terrain, c’est-à-dire de situations pédagogiques concrètes et variées.

Pour dénouer l’écheveau de la complexité sur lequel les travaux d’Edgar Morin (1990) ont attiré mon attention lorsque j’étais jeune chercheur universitaire, j’ai mobilisé les deux dimensions distinctes et complémentaires que propose une approche systémique : une dimension structurelle et une dimension dynamique.

Cet ensemble a conduit à délimiter et articuler les modules de base de la pédagogie, autour du binôme activité-situation pour lequel les travaux de Pastré, (1999) ont été pour moi déterminants :

  • Module de base 1. Pédagogie : trois registres de médiation : ils constituent l’ADN de la pédagogie de manière lisible et accessible pour chacun.
  • Module de base 2. Pédagogie : situation pédagogique. Cette dimension structurelle est centrale pour apporter des points de repères, des éléments d’intelligibilité au pégagogue. A dire vrai, je tiens largement ici la situation pédagogique, structurée autour d’éléments invariants et mouvants, pour une configuration au sens d’Elias, qui permet de penser la variabilité des situations pédagogiques et de penser également l’agilité dont doit faire preuve le pédagogue qui agit sur des situations pédagogiques dans lesquelles il est partie prenante, des situations en partie incertaines et urgentes, comme le signalait Perrenoud (1996).
  • Module de base 3. Pédagogie : démarche pédagogique. La  pédagogie est un processus qui combine une démarche  de projet et une démarche de résolution de problème.  L’important est de donner des points de repères clairs, du diagnostic initial jusqu’à l’évaluation finale, en restant attentif à la singularité de chaque situation.

8.       La co-activité pédagogique signifie que pédagogue et apprenant sont tenus de se coordonner, de s’ajuster, de communiquer. Et dans cette co-activité, il nous faut ici préciser l’importance « des petites choses » (Hesbeen, 1997). Ces petites choses souvent presque invisibles -des mots, des gestes, des mimiques ou des regards, des intonations, des postures- qui souvent sont trop ténues pour qu’on y prête attention, trop fugaces pour être prises en considération… et qui passent, en quelque sorte, sous le radar des méthodologies de recherche. Mais qui, lorsqu’on est proche des réalités concrètes, résistent, participent à donner du sens, à faire lien. Dans mes enquêtes, ce sont souvent  des entretiens avec les publics les plus vulnérables qui ont attiré mon attention sur les petites choses, ceux-ci témoignent de leur réalité, de leur importance dans les perceptions de leurs situations.

 

Diapo 15 

Synthèse (2 sur 2)

1.     C’est la co-activité pédagogique  qui rend particulièrement pertinent le cadre de l’agir communicationnel, qui est ici adapté aux enjeux de la pédagogie et qui participe à rendre intelligible cette notion hybride que l’on peut qualifier de théorie-pratique. L’originalité du cadre théorique de la pédagogie humaniste et pragmatique vient pour une bonne part de l’articulation  entre le cadre de l’analyse de l’activité et le cadre de l’agir communicationnel. Ce dernier éclaire l’activité pédagogique, co-activité prudentielle finalisée par les apprentissages, à partir de la tension entre ce que nous désignons par deux types de rationalité : une rationalité forte et une rationalité « faible » (Piot, 2009).

2.    La rationalité forte relève d’une logique objective et instrumentale; elle correspond à la rationalité analytique de Descartes. La rationalité forte  vise l’efficacité et la performance (ici= des apprentissages), cela grâce à la mobilisation d’une démarche rationnelle et instrumentée.

3.     Notons que cette rationalité forte est souvent mise en avant de manière presque exclusive  par la société contemporaine qui accorde une place parfois excessive à la reddition de compte mesurable et visible à court terme. S’il convient assurément d’accorder une place  à la rationalité forte, cela n’est pas une place qui laisse dans l’ombre la rationalité faible.

4.     La rationalité forte est stratégique dans l’analyse des situations pédagogiques ainsi que dans la détermination de la démarche pédagogique. Plusieurs éléments des trois modules de base de la pédagogie s’articulent avec cette rationalité forte : le diagnostic initial pluriel, la mesure des écarts avec les objectifs, la détermination d’une démarche rationnelle progressive et la mise en place de régulation.

5.     Dans le secteur pédagogique, la pédagogie de la maîtrise de Benjamin Bloom (1968), avec une progression conditionnée par la réussite et le principe de régulation ciblée, ainsi que la pédagogie explicite de Steve Bissonnette,  Mireille Castonguay,  Clermont Gauthier et Mario Richard (2013), organisée en étapes structurées et intégrées, constituent deux exemples d’approche empruntant à la rationalité forte, soit  à la logique des données fondées sur des preuves (evidence based data). Voir les modules thématiques : «Courants pédagogiques ».

6.    La rationalité faible relève d’une dimension anthropologique et donc s’écarte de la démonstration de la preuve, ordonnée à des principes universels, qui caractérisent la rationalité forte. L’expression de rationalité faible (Piot, 2008) doit être comprise comme une alternative à la rationalité forte et non pas comme l’acceptation d’une forme d’assujettissement à celle-ci. Oublier, ou négliger la rationalité faible, c’est prendre le risque d’une lecture exclusivement instrumentale de la pédagogie, lecture qui ne permet pas d’embrasser sa complexité. Avec la rationalité faible sont mises en avant, mais aussi prises au sérieux, les logiques subjectives, plus qualitatives, qui poussent les humains à agir, qui touchent leurs valeurs, leurs convictions, leurs émotions.

7.     Il s’agit, puisque la pédagogie est une co-activité asymétrique et finalisée entre deux sujets (le pédagogue et l’apprenant), de prendre en compte des dimensions proprement humaines, qui sont ce avec quoi, parfois sans que cela soit toujours pensé ou même formulé, chacun a « à faire » au quotidien : la reconnaissance de soi et d’autrui, la confiance, l’identité. Cette dimension anthropologique concerne également  la question du lien social, des transcendances -comme des valeurs,  telle la liberté-, qui  participent d’une certaine manière à enchanter le réel, qui ne s’épuisent pas dans la mesure ou la maîtrise du monde matériel, aussi essentiel que ce monde matériel soit par ailleurs.

8.     Pour ce qui la concerne, la pédagogie peut participer à raconter  une histoire (au sens de story telling), une histoire intime, celle de chacun dans sa trajectoire personnelle dont, par ses choix, il est en partie maître ; et celle plus universelle, de l’humanité, des transmissions intergénérationnelles et culturelles, des rêves de bonheur aussi.

9.     Cette dimension anthropologique, dont chacun aura saisi la complexité et le caractère en partie ineffable, se déploie, du point de vue de l’agir communicationnel, dans deux directions complémentaires : l’une est plus intrasubjective et l’autre plus intersubjective.

  • La direction intersubjective renvoie à la dimension sociale de la pédagogie, que certains concepts de sociologie ou de sciences humaines en générale peuvent éclairer : la question « du rapport au savoir» formalisée par Bernard Charlot, Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex (1993) en est une excellente illustration. Pour notre part, nous avons pu trouver des appuis décisifs pour comprendre la pédagogie « en actes » en mobilisant des analyseurs issus de la pragmatique linguistique qui aident à saisir et analyser les interactions langagières en situation de communication. Par exemple, la notion de force illocutoire des discours ou encore l’analyse des malentendus potentiels dans les interprétations erronées des connaissances que l’on prête à autrui, les raisonnements fondés sur des prémices inexacts sur l’activité d’autrui sont autant de notions clés pour analyser des situations pédagogiques et plus précisément les obstacles cognitifs qui peuvent surgir dans le fil de la communication pédagogique.Voir module thématique: « Pédagogie et langage ». Par ailleurs, la notion de care (Tronto, 2009), proche de la notion de bienveillance, qui est à penser en complément de la notion d’autorité (voir le module « pédagogie et autorité »), cette notion de care invite à penser les interactions relationnelles entre les acteurs de toute situation pédagogique.
  • Pour la direction intrasubjective, les apports de la psychologie restent précieux et incontournables et aident à saisir le fonctionnement humain, jamais totalement lisible : la psychologie du développement, la psychologie cognitive avec le traitement de l’information, la place des émotions  dans l’agir humain ou encore le rôle stratégique des régulations et ajustements ciblés, sont quelques exemples de contributions scientifiques solides que l’on retrouve dans les 3 modules de base ou dans les modules thématiques. Il convient également de mettre en avant la question de la réflexivité des acteurs (Schön, 1994) pour bien prendre la mesure de la place des dynamiques intrasubjectives à l’œuvre dans toute activité pédagogique.

Nous ne plaidons donc pas pour une approche exclusivement analytique qui assècherait et réifierait l’activité pédagogique, mettrait à la périphérie de celle-ci la question de la motivation, de la confiance ou de l’autorité…. dont tout observateur attentif et informé sait qu’elles sont stratégiques dans la dynamique des apprentissages.

C’est la raison pour laquelle, au cœur de notre contribution théorique à une pédagogie humaniste et pragmatique, nous avons placé une triple médiation, symbolisée par un lien à trois brins : médiation didactique, médiation relationnelle et médiation organisationnelle.

Ressources

  • Altet, M. (1994). La Formation professionnelle des enseignants. Paris : PUF.
  • Austin, J-L. (1970). Quand dire c’est faire. Paris : Seuil.
  • Bissonnette,S., Castonguay, M., Gauthier, C.,Richard, M. (2013). L’enseignement explicite. De Boeck.
  • Bloom, B. (1956/1975). Taxonomie des objectifs pédagogiques. Presses de l’Université du Québec.
  • Bloom, B.S. (1968). Learning for mastery. In Evaluation Comment, Vol. 1(2).
  • Bruner, J. S. (1983). Savoir faire, savoir dire, le développement de l’enfant. Paris : PUF.
  • Bruner, J. S. (1991). Car la culture donne forme à l’esprit. Paris : Eshel.
  • Bucheton, D. (dir.), (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Octares Éditions.
  • Champy, F. (2012). La sociologie des professions. Paris : Presses universitaires de France.
  • Charlot, B., Bautier E., Rochex J.-Y. (1993). Ecole et savoir dans les banlieues et ailleurs. Paris : Armand Colin.
  • Clot, Y. (2000). La Fonction psychologique du travail. Paris : PUF.
  • Devereux, G. (1980). De l’angoisse à la méthode. Paris : Flammarion.
  • Dewey, J. (1938/2006). Logique. La théorie de l’enquête. Paris : PUF.
  • Elias, N. (2003). Qu’est-ce que la sociologie? Pocket.
  • Fabre, M. (2017). Qu’est-ce que problématiser? Vrin.
  • Faverge, J. M. (1972). L’analyse du travail.  In : Fraisse P. (s/dir). Traité de psychologie appliquée. (Tome 3). Paris : PUF. 5-60.
  • Habermas J. (1987) Théorie de l’agir communicationnel. Rationalité de l’agir et rationalisation de la société Tome 1. Paris : Fayard.
  • Hesbeen, W. (1997). Prendre soin à l’hôpital. Inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante. Elsevier Masson.
  • Jakobson, R. (1963/ 2003). Essais de linguistique générale. Les Éditions de Minuit.
  • Kerbrat-Orecchioni, C. (2005). Le discours en interaction. Paris : Armand Colin.
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  • Ochanine, D. (1978). Le rôle des images opératives dans la régulation des activités de travail, Psychologie et éducation, n°2, mai 1978, 63-72. Toulouse le Mirail.
  • Pastré, P. (dir). (1999). Apprendre des situations. Education Permanente, n°139/1999-2.
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  • Rabardel, P. (1999). Le langage comme instrument, éléments pour une théorie instrumentale élargie. Dans Y. Clot (dir.), Avec Vygotski, pages 241-265, Paris : La Dispute.
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  • Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Les Editions Logiques.
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  • Vergnaud, G. (1985). Concepts et schèmes dans une théorie opératoire de la représentation. Psychologie française. N° 30, 29-42.
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  • Vygotski, L. S. (1934/1997). Pensée et Langage. Paris : La Dispute.
  • Wittorski, R. (2008). La professionnalisation. Savoirs. N°17. 9-36.

Modules suivants

Partie 1 - Modules de base Base 1: au cœur de la pédagogie: trois registres de médiation Commencer le module Partie 1 - Modules de base Base 2: situation pédagogique Commencer le module 1h50 Partie 1 - Modules de base Base 3: démarche pédagogique Commencer le module